L’étape du tour 2018

Des semaines que je la prépare, voire des mois cette Etape du Tour. Il est 4h du matin, plus la peine de dormir, le réveil est à 4h30. Je me sens prête à en découdre même si un peu mal à la gorge. Le stress peut-être. Certainement. Mes affaires sont prêtes. Je sors mes patates du frigo (mon repas pour la course). Après un petit déjeuner pris sans vraiment d’envie mais par nécessité, je monte dans le van, avec toutes mes affaires. Nous attendons les derniers retardataires. Il est 5h40. C’est parti. Arrivés sur place, tout va très vite. Juste le temps de monter le vélo, de faire les dernières vérifications et nous voilà en direction du SAS 3. La pression monte mais à peine le temps de voir passer les minutes que les coureurs du SAS 3 (sur 15) s’élancent. Nous sommes tout au fond. Cela me va bien, je n’ai pas envie d’être bousculée. Les garçons partent comme des flèches, je suis en forme, mais la route va être longue. Je préfère prendre des roues à un rythme un peu plus souple qui me convient davantage. Quelques montées et de grandes lignes droites. Le Col de la Croix Fry approche. Tout est allé très vite ce matin, je n’ai pas pris le temps de m’occuper des commodités d’usage d’avant course. Je prends le temps de m’arrêter, pose délicatement mon Focus contre un arbre et me cache derrière un buisson. Je repars avec le nœud au ventre, le stress n’est pas tout à fait partie mais je ne peux plus reculer. Je prends une roue, je m’accroche et je repars.

 Ça y est, le premier col s’annonce. 14km à 10% en moyenne. Je me sens bien. Je m’alimente avec mes pommes de terre toutes les 30 min et bois mes gorgées d’eau toutes les 10 minutes. Je n’ai pas envie d’avoir des problèmes gastriques que je ne connais que trop bien dans les longues courses. Je suis en mode endurance, je mouline, ce n’est que le début. Il fait encore bon, les paysages sont magnifiques et les premiers supporters sont là pour nous encourager. Au passage, être une femme avec la tenue AG2R LA Mondiale, ça n’a fait qu’amplifier les encouragements. Je prends! A l’arrivée du premier col, je me sens bien. Je fais la descente tout en gestion, et je m’arrête au premier ravitaillement. Tout va bien. Je ne croise personne que je connais. Ah si! Jacky et Lionel! Le temps d’atteindre le pied du 2ème col, mes pensées divaguent. Les émotions montent. Je verse quelques larmes. Je suis heureuse. Ça va être dur mais j’y suis! Je demande à un coureur à quel moment nous sommes au pied du col. Il me dit « c’est maintenant ». Je me sens bien. Je bois une gorgée mais oublie de manger une pâte de fruits, comme j’avais prévu. Pas grave. C’est raide. Très raide. Aucun répit mais il fait bon. Nous sommes à l’ombre. Des pourcentages à 17%, mon vélo manque de se cabrer mais je m’avance. Je m’étais préparée à la montée du Plateau des Glieres et ça se confirme être très difficile pour tous. Certains mettent déjà le pied à terre. Je me dis que la suite risque d’être compliquée pour eux. Nous ne sommes qu’à 80km sur les 169km annoncés. J’arrive en haut du col avec le sourire aux lèvres. Plus que 2.

Le plus dur est derrière mais je ne savais pas à quoi je m’attaquais à ce moment. Arrivée sur la piste de terre, c’est splendide, je suis les sillons laissés par les vélos et je profite. J’aimerai bien m’arrêter, prendre des photos, m’allonger dans la pâture au milieu des vaches mais ce n’est pas vraiment le moment. Nous reviendrons avec Seb et les enfants, ça c’est sûr! Une belle descente, les émotions reprennent le pas. Je reprends mes esprits. Pas d’accidents, il faut être attentive, ce n’est pas le moment! Une montée s’en suit. Plutôt sympa avec un dénivelé tout à fait raisonnable. Je profite. Je suis bien. Nous sommes à Thorens au km 100. Je croise Olive, je suis trop contente. Nous allons pouvoir partager la route ensemble jusqu’au pied du col de Romme. S’en suit une belle descente puis du plat récupérateur, nous partageons un ravito mais je ne m’alimente pas assez en sucre et ne m’en rendrai compte que plus tard. Il fait chaud. Il doit être 11h. Nous prenons un groupe sur la dernière partie plate du parcours jusqu’au km132. La tête dans les roues, Olivier n’a pas suivi. Mince. Je le retrouverai au ravito avant Romme. Il fait très très chaud. Je pense que je n’ai pas assez bu. Arrivée au ravito, mes douleurs tant redoutées commencent. Zut…mais je retrouve Josse, ma comparse des bosses de Provence, je suis trop heureuse. Puis Olive arrive. Ça donne, du baume au cœur. Bon il faut y aller. Deux gros morceaux nous attendent. La journée est loin d’être finie. J’attaque le Col de Romme au km 132. 11km à 10%en moyenne m’attendent. C’est beaucoup. Marre de ces panneaux qui nous indiquent les pentes tous les km. C’est décidé : je ne les regarderai plus, trop démotivant. J’ai des nausées. Je vois une fontaine. Beaucoup de cyclistes y sont agglutinés. Je m’y arrête. Je mange une pâte de fruits. Il me reste 9km de montée. Allez c’est 2 fois la route des Crêtes. Tu l’as déjà fait. Mais c’est dur. Je compte km par km. Mon arrêt à la fontaine a été bénéfique, ça va mieux. Les jambes sont là, l’entraînement a payé. Au moins pas de douleurs pas de crampes, me dis-je…Je vois de plus en plus de cyclistes qui s’arrêtent faire des pauses, monter à pied et même vomir au bord de la route. Je m’accroche, plus que 6, 5, 4, 3, 2…et 1km. La délivrance, un ravito, je n’ai plus d’eau mais mes nausées reprennent. Peu importe le temps, il faut que je me requinque. J’ai envie d’appeler Seb mais reviens rapidement sur cette décision, je veux rester dans ma bulle. Je le sais, le dernier col va être aussi dur que le précédent, je me résous à devoir le faire au mental. Je passe aux toilettes, ça va mieux. Je vois des petites étoiles. Je m’assois sur une chaise prêtée par la Croix Rouge. Je ne peux plus rien avaler mais je m’oblige tout de même à manger une pâte de fruits. Je ne peux boire que de l’eau, plus de produits, plus rien. Après au moins 20 minutes d’arrêt, ça va mieux. La nausée est un peu passée. Ouf. Il faut y aller. Je me dis qu’avec le déclencheur de chrono entre les cols, Seb doit se demander ce qui se passe. Toutes ces concessions, ces efforts, hors de questions, je n’abandonnerai pas.

Plus que 7km à 10% (encore…), c’est juste un peu plus que la route des Crêtes, ma référence. J’avale 100m par 100m, c’est dur, très dur. Plus j’avance plus c’est l’hécatombe. Les cyclistes mettent pied à terre. Des files se forment. Certains recherchent les coins d’ombre et s’arrêtent. Je n’en peux plus. Je veux m’arrêter aussi. Mais je suis trop près du but. Je le sais. En haut, ce n’est ensuite que de la descente. En haut, c’est fini, du moins mentalement. Les 5 derniers km sont inexplicables et inimaginables de douleurs. Il fait trop chaud. Je suinte de partout. Je m’arrose la nuque, je bois, gorgée par gorgée. Et plus j’avance, plus les autres cyclistes s’arrêtent. Mais je vois que les autres coureurs en bavent aussi. C’est décidé, si je veux arriver en haut, je dois rester dans ma bulle. Je me mets sur la ligne blanche du milieu. Je ne lève plus la tête, je ne regarde que ma montre. Je me dis : ce 100m c’est pour Seb, celui-là pour Elisa, celui-ci pour Robin…mes parents, ma soeur, famille, amis, collègues et femmes d’Ag2R La Mondiale que je représente… J’avale 100m par 100m mais c’est dur, extrêmement dur, la chaleur est accablante…Des spectateurs empathiques me boostent dans les derniers 400 m. Allez c’est rien. Ce n’est qu’un tour de stade…à pied. Mais je souffre et j’en bave. Je vois les drapeaux d’arrivée du col, les émotions ressortent. Les larmes coulent. Je passe le col. Je n’y crois pas. Je l’ai fait. Je m’arrête rapidement au ravito pour boire un verre de coca, nettoyer mes lunettes et reprendre mes esprits. Il reste tout de même 22km, mais tout en descente. Restons concentrée.

Je descends sans risque. Je n’ai plus toutes mes capacités. Prudence. Je regarde ma montre. Les km défilent à une vitesse invraisemblable par rapport à ce que j’ai connu quelques minutes auparavant. Je ne vais pas pouvoir retenir les émotions. Je n’ai pas à retenir mes émotions. Plus que 3km, 2km, 1km…Je vois la ligne d’arrivée avec El Diablo : celui du Tour de France. Je lui tape dans la main et je pleure. Des larmes coulent. J’accepte la médaille fièrement mais exténuée. Je me dirige vers le ravito. 1 SMS. C’est mon homme! Il me félicite. Je l’appelle. Je pleure de joie, d’émotion, d’accomplissement…De tout!!! Il ne se rend certainement pas compte mais c’est grâce à lui et aux enfants que je l’ai monté ce p….n de dernier col. A peine raccroché, je vois Marie et Virginie. Trop plein d’émotions, je fonds en larme dans leurs bras. On l’a fait. Je l’ai fait. C’est aussi une victoire pour vous, nous, les femmes. Une chose est sûre il faut toujours y croire et se donner les moyens d’aller au bout de ses rêves. Et faire une grande épreuve cycliste en était un pour moi! »

Comment (2)
Gilou
2 mai 2020

La fierté et la chiale ! La fierté décuplée et pourtant je l’avais déjà pour tant d’autres raisons… Ce texte et la belle histoire qu’il raconte ma foutu la chiale, sans un coup de pédales , sans faux cols… bravo, bravo, bravo et encore 😘

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angelina.j
23 juillet 2020

Je suis fière de toi Cathy, tu ne lâches rien….Tu vas jusqu’au bout de toi même, Bravo et encore Bravo.
A très vitre pour votre voyage. Angélina.

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